Infolettre #9

Dans le but de permettre à son lectorat de rêver à des jours meilleurs, Ta Mère a confiée à sa nouvelle amie, Rébecca Déraspe, la mission d’imaginer le lancement que son livre aurait eu si on était en temps de non-pandémie…

À vous, lecteurs des Éditions de Ta Mère, vous les juste un peu plus cool que les autres, salut.

Dans un monde où les lancements existent encore mais en version « j’ai fait faire mes ongles », j’achète une robe pis je suis trop fébrile pour dîner. À 13h, je me prépare. De partout. Même de l’épilation. À 13h34, j’attends. À 13h56, j’attends. À 16h32, je refais mon maquillage de bouche. À 16h43, je suis dans un taxi en direction de la Taverne du Pélican. À 17h03, j’arrive avec des talons trop hauts pour mes capacités de « personne à (gros) oignons aux pieds ». Vite, le bar. Un verre de vin rouge. Au loin, j’aperçois Jean-Philippe Baril Guérard, à qui j’envoie la main l’air de dire « heille on connaît ça, toi pis moi, le théâtre, hein! » On me présente Stéphane Girard et Alexandre Castonguay. À nous quatre, on est colocataires du même lancement pis je suis impressionnée de rencontrer des gens qui font la même chose que moi (c’est-à-dire rester en bobettes toute la journée à souffrir sur leur divan). Un verre de vin rouge. Mon estomac vide supporte mal les 13 % d’alcool qui viennent avec le raisin. Pas grave. On lance pas des livres quarante mille fois dans sa vie. Je croise des connaissances à qui je raconte que « ah ah oui moi aussi pis toi sinon le printemps quand même wow merci merci oui il est magnifique ». Mes pieds hurlent « va chier » à ma décision de mettre des talons. Un verre de vin. La FORMIDABLE ÉQUIPE (à ce moment-là de la soirée je commence à crier pour rien) des Éditions de Ta Mère est là. Je fais des câlins beaucoup trop longs à Maxime, à Maude, à Rachel, à Marie-Claude, à Benoit pis je – un verre de vin – attends, attends, Benoit Tardif ? Le gars des illustrations ? Là, je sors des termes que je connais pas avec une voix suraiguë « en tout cas wow ta symétrie radiale pis tes règles de tiers de la de le les affaires graphiques wow quel talent j’adore j’adore ! »

Là, je me parle.  Au coin, jeune fille. Doux. Doux.

Aux toilettes, j’essaie de faire disparaître le vin rouge qui a taché mes dents. J’accroche mon rouge à lèvres, j’en étale sans vraiment m’en rendre compte. Je suis trop occupée à contempler le livre que j’ai entre les mains. Je l’aime. L’amour.

Un verre d’eau.

Une vieille connaissance m’approche. À son contact, quelque chose se tend. Mémoire olfactive. Le moment que je m’apprête à passer va être désagréable. Son odeur me rappelle quelque chose qui se termine par un doigt d’honneur bien tendu au fond de la poche de mon pantalon.

« Pourquoi avoir choisi un titre moitié français, moitié anglais ? C’est pas un choix très respectueux de la langue française. J’imagine que c’est un effet de mode. »

Un verre de vin.

J’aurais dû dîner. Je me lance dans une explication trop émotive, je m’emporte, je décide d’enlever mes souliers, je les balance au visage de mon interlocutrice, je les remets. En tout cas pis bref.

On tape sur mon épaule. Je me retourne trop vite. Ma tête tourne. On veut une dédicace. Je veux un verre de vin. Je m’assois pour écrire des choses comme « bonne lecture » mais je me rappelle plus comment écrire. Genre vraiment. Les mots ? Je sais pas comment faire ça, moi.

Un verre d’eau vin.

Marie-Claude me demande si je suis correcte. Je me mets à pleurer. Je me rends compte que c’est pas à soir que je vais frencher. POURQUOI MOI JE TROUVE JAMAIS L’AMOUR MAQUILLAGE QUI COULE JEAN-PHILIPPE BARIL GUÉRARD QUI FAIT DES BLAGUES ROUGE À LÈVRES ÉTALÉ JE TITUBE JE TOMBE DANS LES PILES DE LIVRES J’AI MAL À L’ÂME WHY ME

Marie-Claude me met dans un taxi.

Le lendemain, je me réveille dans ma robe. Habillée dans la honte. Couchée en cuillère avec mon livre. Je l’aime. L’amour. Fin du cauchemar.

Ouf. Pour une fois que les règles sanitaires me rendent service. Ça va se passer exactement comme ça, mais personne va le savoir. (Ben non.)

La seule chose qui est vraie dans ce récit fictif, c’est que l’équipe des Éditions de Ta Mère est FORMIDABLE. Pis aussi que je suis fébrile. Pis aussi que j’ai hâte que ce petit livre, mon COMBATTRE LE WHY-WHY, mette sa robe de soirée pour se faire frencher par vos yeux.