Infolettre spéciale – Les réponses du cœur

Dans le but d’informer et de divertir son fidèle lectorat sans faire trop d’efforts, Ta Mère a décidé de sous-traiter son infolettre à ses auteur.ices. En ce quatorze février, ce n’est pas juste Cupidon qui frappe fort : après les missives qu’elles se sont envoyées hier, voici les réponses de Carolanne Foucher et Frédérique Marseille. Ont-elles réussi, à travers cette fémini-bromance, à percer les mystérieux mystères de l’amour?

 
Salut Frédérique,

Ici Carolanne. Je sais pas si tu te souviens de moi, on s’est rencontrées au hasard d’une table de signatures au Salon du livre de Montréal. Je fangirlais de te croiser, parce que je venais de finir ton premier livre, pis j’avais trippé. (Honnêtement même si j’avais pas trippé j’aurais sûrement fangirlé pareil, parce qu’écrire un livre c’est tellement un acte de résistance et d’offrande de soi et de vulnérabilité, ça mérite toujours d’être souligné. Mais bon, là, il adonne qu’en plus, j’avais adoré ma lecture.)

On s’est assises à côté pour dédicacer nos livres respectifs à nos publics respectifs, mais moi, j’avais un secret dans mon sac : j’avais apporté ton livre, pour que tu me le signes, ce que tu as fait. Yas, merci pour ça. Sans rancune sur le fait que t’avais lu aucun des miens. Just kidding, je l’ai encore un peu sur le cœur. JUST KIDDING AGAIN je suis vraiment pas fâchée.

Les mois ont passé, et je n’arrive pas à me sortir de la tête cette foudroyante rencontre: qui es-tu? Où vas-tu? Écriras-tu un prochain livre? Est-ce que ta narratrice va revenir ou est-ce que je dois faire mon deuil de cette voix singulière? Est-ce que TOI tu vas revenir au Salon du livre ou est-ce que je dois faire mon deuil de ça aussi, signer à côté de toi? 

Tant de questions, tant de temps, si peu de réponses. 

La St-Valentin approche pis… j’aurais aimé ça savoir si t’avais envie de me partager une couple de conseils d’amour. Pas que t’as l’air particulièrement hot sur ce sujet-là, ton roman n’annonce rien de particulièrement joyeux pour les femmes trentenaires, mais anyways, j’avoue que je sais pu vers qui me tourner.

J’ai rencontré un dude sur les applis de rencontres y a comme 6 mois, et on s’est flirtés assez intensément (cool), on s’est vus deux fois, mais finalement il m’a accusée de lui avoir donné la COVID fait qu’on s’est chicanés par message texte pis ça a fini là. CEPENDANT, on s’était ironiquement setté une date le 14 février, genre 6 mois d’avance, qu’on a tous les deux mise à l’agenda. On se trouvait crissement drôles, on s’est même invités à participer à la date via nos Google Agenda respectifs. Hi hi hi, on a bien ri. 

…C’était sans compter qu’on allait se pogner par message texte et qu’il allait m’accuser de lui avoir donné la COVID juste à temps pour Noël. (1. c’est wack faire ça 2. j’y ai même pas donné la COVID) La date s’en vient crissement vite, et je me demandais quoi faire avec ça : faut-tu que je lui écrive pour lui dire que c’est cancel, ou ça va de soi? Aussi, c’est quoi mon problème? Comment j’ai pu dater un dude aussi wack? En fait, ma vraie question c’est : are the guys okay? 

Merci de donner suite, 

Carolanne
 

 

Chère lectrice aka Carolanne Foucher aka la fille de Stu Cancel, 

Assez drôle qu’on se soit écrit en même temps pour avoir des conseils amoureux. Quel hasard hasardeux quand même. 

Voilà qui est tortueux comme dilemme : to go or not to go à cette date au concept cocasse, attirant, voire sexy-ponctuel, mais dont le protagoniste communément connu sous le nom de « gars de Tinder » est vraiment une marde, on va se le dire. 

Regarde. 

Se fâcher pour la COVID en 2020, c’était in. Mais en 2023? Tu me niaises-tu? C’est quoi, on peut pu rien pogner de nos jours? (Référence à quand les boomers rétorquent « on peut pu rien dire », mais je sais que tu l’avais catchée). 

Je suggère différentes stratégies : 

1 – Ne pas y aller et voir une amie précieuse à’ place, le tout arrosé d’un breuvage à base de fous rires et de saucisses hot dog dans la sauce HP (rituel culinaire ancestral émulant la castration sanglante desdits gars de Tinder).
2 – Y aller, suggérer un repas à partager (genre un combo sushi ou des plats indiens) et tousser au-dessus du repas commun toute la soirée.
3 – Faire des ajustements sur votre booking Google Calendar avec plein de correctifs plus exacts tels « rendez-vous avec le gros ringard » au lieu du nom du gars. 
4 – Prendre ton char, rouler jusque dans les Cantons-de-l’Est et venir brainstormer avec moi sur un projet littéraire commun (ainsi que l’adoption de nos futurs enfants). 

C’est un tic assez répandu de se demander « coudonc c’est quoi mon problème d’attirer des loseux de même ». Comme tu le sais, une industrie florissante de livres sur « comment trouver la bonne personne » surfe sur cet art que toi et moi et mes amies et ma mère et ma voisine, bref les madames, maîtrisons avec talent : penser que c’est de notre faute quand quelqu’un est supra-poche avec nous. 

Eille, je pense à ça : je vais écrire à notre maison d’édition dont on taira le nom par souci d’anonymat pour leur conseiller de partir une branche self-help amoureux. Ça pourrait booster les budgets pour produire nos livres à toi et moi, t’en penses quoi?

Ça fait qu’un gars pète une note pour un ci ou pour un ça et le rave de hamsters sur le speed démarre dans nos têtes :

 « Je suis tellement poquée en dedans clairement que je devrais faire de la thérapie pour arrêter de tripper sur des gars dull c’est mes patterns hérités de l’enfance qui était pourtant pas si pire me semble quoique c’est vrai que j’étais une tite fille sensible je suis don’ tu une personne pathétique et dépendante affective de donner du jus à des gens qui sont beaux certes mais irrespectueux as hell je dois aller de ce pas lire trente-trois blogues sur comment émerger de mes daddy issues ceux que je ne me suis évidemment pas infligés moi-même mais dont je finis par croire que je suis la seule responsable je devrais clairement aller me fouetter dans ma chambre mais genre zéro sexu là fouetter dans le sens de développer de l’anxiété sociale et continuer de croire que la seule et unique raison pour laquelle je suis mal-aimée c’est parce que je suis pas aimable. » 

Bon. Peut-être ça se passe pas tout à fait de même dans ta tête. C’était un exemple.

Mais mettons : si y a un certain pourcentage de cette orgie culpabilisatrice qui s’installe des fois dans tes discussions de debrief amoureux avec tes amies, j’ai envie de te donner une piste toute simple qui vient de toi, d’ailleurs : 

Are the guys okay? 

Sur ce, je t’attends ce soir chez moi avec un verre de rouge (si tu fais le mois sans alcool ou que carrément tu bois pas, je te servirai un autre liquide rouge, peut-être du jus de tomate ou encore un Shirley Temple). 

Précieusement vôtre, 
Fred Marseille

 

*******

 

Chère Carolanne, 

Je t’écris aujourd’hui parce que ça va mal. 

Notre rencontre au Salon du livre de Montréal me laisse croire que tu seras la seule à pouvoir m’aider, me conseiller.

Je me rappelle nos deux tables hautes, côte à côte. T’étais jackée sur ton tabouret, les jambes ramassées en nœud papillon en dessous de ton corps long comme le mien, quoique bien plus blond et décontracté. C’était pas ton premier rodéo, et par rodéo je parle de salon du livre. Ces foires me font bel et bien l’effet d’un taureau mécanique au milieu d’un bar où on te pitche des pichets de bière sur ta tite camisole blanche de fille qui swing en criant qu’elle a mal au cœur. Bref, t’es une pro de la signature et ça m’a bien apaisée de co-rider l’éléphant dans la pièce : l’absence de fans en délire devant nos précédemment citées tables hautes. 

Tout étourdie du girl crush que, décidément, tu m’inspirais, j’ai dépensé trois fois vingt piasses pour me procurer tes deux recueils et ta pièce de théâtre, tous trois publiés aux précieuses éditions dont on taira le nom ici par souci d’anonymat, éditions qui nous lient telles des soeurs éternelles d’ouvrages printés en 2022 parce que crime, ta pièce Manipuler avec soin est le numéro 68 et mon roman est le 69 dans la collection de la non dite maison d’édition, cristifi du saint Ciel, c’est-tu pas d’adon ou c’est pas d’adon?! C’tu pas un signe qu’on est faites pour être amies, et par amies je veux dire siamoises best friends potentielles mères de nos enfants parce que tsé fuck les familles mononucléaires on peut-tu faire des kids avec qui on veut genre avec d’autres autrices qui publient des belles affaires et qui répondent à tes stories sur Instagram, criss?

Parlant de 69, ça me ramène à la cause de cette missive : 

Où est-ce que je peux retrouver l’amour?

Seule toi saura m’éclairer, poétesse avertie que tu es.

En effet, j’ai égaré l’amour. Ou plutôt, j’ai comme perdu certaines de ses pièces. 

Depuis deux ans, je m’amuse à le déconstruire. En essayant de le remonter, petit boutte par petit boutte, je réalise que j’ai perdu une vis ici, une pinouche là. C’est mon genre ça, défaire un meuble pour le déménager, pu savoir où j’ai rangé la tite clé Allen de marde, pitcher des washers importants dans toutes les poches de mes jeans. Reconstruire tout ça dans le nouvel appart, réaliser que mon lit est rendu une île shaky, un radeau à trois pattes. 

Parlant de lit, ça me ramène à la cause de cette missive : 

Peux-tu m’expliquer ce que tu connais mieux que quiconque, soit les mots qui font rêver?

Dans le projet de Lego qu’est l’amour (c’est comme un jeu de mots, là, reste concentrée), j’ai clairement perdu le mécanisme qui fait que le bidule bouge, tourne, avance, fait du bruit, sourit. J’ai beau fouiller les poches de mon suit de ski, le coffre à gants de mon char, le tiroir à ustensiles, j’ai clairement égaré… sa définition.

La définition que j’avais de l’amour ne fitte plus dans le trou où elle devait aller (c’tun autre jeu de mots, plus trash un peu). 

Pis non seulement j’ai perdu des morceaux de la définition initiale que j’avais de l’amour, mais en plus j’ai un paquet de nouveaux clous de plein de longueurs différentes qui fittent semi avec le mode d’emploi qu’on m’a vendu quand j’t’ais kid. 

Dans le creux de ma main, je tiens toutes les tits morceaux arrivés de je sais pas où et même si je suis pas sûre de savoir où les insérer dans le kit initial, je les trouve beaux et brillants. 

J’essaie de voir si je peux les tie wrapper quelque part sur le projet de l’amour, duct taper quelque chose sur mon coeur. Des amies de femmes fantastiques, une sexualité fatiguée de l’hétérosexualité, préférer spooner avec mes chiens qu’avec quelqu’un, le rêve de ne plus vivre à deux, choisir de publier un livre plutôt qu’accoucher d’un bébé…

Comment je fais pour retrouver l’amour??

Aide-moi, Carolanne. 

Sincerely yours, 

Fred Marseille
 

 

Chère Fred Marseille,

On va se le dire, drôle d’adon pareil que tu m’écrives, parce que je viens moi too de t’envoyer une lettre qui te demande conseil. On dirait quasiment qu’on s’était parlé avant, c’est fucké, pareil… Anyways. Trêve de bizarreries, revenons-en à un sujet pas bizarre pantoute : l’amour.

Bon. 

Moi mon père c’est un patenteux, pis il m’a souvent dit que quand il était jeune, il démontait tout ce qu’il trouvait, t’sais, des cadrans, des montres, des télés, des grille-pain : il voulait savoir comment ça marchait, fait qu’il démontait, il regardait, des fois il nettoyait, ajustait, modifiait, et ensuite, ben il remontait. J’ai longtemps voulu être cette fille-là, la fille de papa quoi, celle qui a hérité de cette curiosité-là, celle qui démonte des patentes juste pour le plaisir d’assouvir sa curiosité, mais j’ai pogné un noeud vraiment vraiment vite dans ma vie, quand j’ai réalisé que démonter les choses c’est facile, mais que les remonter une fois que t’as toute mis en pièces, c’est un asti de bon défi. J’ai brisé un petit four pis un séchoir à cheveux, de même. C’est-à-dire que je les ai démontés, pis j’ai pu jamais réussi à les remonter. 

Fait que j’ai changé de tactique : je suis devenue la fille qui démonte rien. Quand quelque chose pète, ben… je le jette. Parce que je suis pas capable de réparer. Gros, gros constat d’échec dans ma vie, d’être encore curieuse de comment les patentes sont faites mais de réaliser que j’ai pas les skills pour entreprendre de les mettre en pièces pour mieux les faire marcher. Fait que j’ai juste arrêté de démonter les affaires, parce que je voulais pas prendre le risque de ne pas être capable de les remonter.

Tout ça pour dire : je pense que tu seras pas capable de remonter l’amour. 

J’espère que tu capotes pas en lisant ça : s’il te plaît, suis-moi, on s’en va quelque part. 

Oui, je pense que tu seras pas capable de remonter l’amour MAIS je pense que c’est une bonne chose, PARCE QUE (suis-moi, encore) l’amour c’est pas un fucking séchoir à cheveux, pis sa fonction est pas limitée à une chose bien précise que si tu le remontes pas parfaitement, ben ça servira pu, hop poubelles, cancel, c’est mort, l’amour est mort, bla bla bla, pierre tombale, obsèques, tristesse.

Je pense que la société dans laquelle on a grandies voudrait qu’on voie l’amour de même : un couple monogame qui s’aime, qui se désire fucking fort, mais qui désire PARSONNE D’AUTRE, avec des ami.e.s stables autour, mais moins importants, parce que le couple c’est la chose centrale de notre vie. Je pense… qu’on fait fausse route. Je pense aussi que si t’as eu le courage de démonter l’amour, pis d’avoir dans les mains des vis pis des springs pis plein de patentes que tu sais pu trop où ça va, ben maintenant ça te prend le courage de reconstruire de quoi de neuf, sans guide d’instructions, sans modèle à copier, juste au gré de ton inspiration, de tes envies pis de ta créativité. Vas-y. Remonte de quoi pis teste-le un peu, voir si ça marche. Si t’as des morceaux inutilisés, mets-les dans un petit bol à côté, laisse-les réfléchir. Quand tu seras tannée de ta construction, ou si tu vois que ça marche pas comme tu veux, ben tu pourras recommencer encore, pis peut-être même que tu vas vouloir mettre des morceaux que t’avais pas mis la dernière fois dans ta création, tu jetteras un coup d’oeil dans le petit bol, voir si y a pas des affaires qui t’inspirent tout à coup. 

L’amour c’est vaste, 
l’amour c’est pas un séchoir, 
l’amour c’est pas une conscription. 

L’amour c’est des vis, pis des springs pis des patentes qu’on sait pas où ça va. Pis je pense que c’est correk de même. C’est vraiment courageux, pour vrai, de démonter quelque chose en sachant très bien qu’on sera pas capable de le remonter tout à fait de la même manière. J’admire beaucoup ça, pis j’essaye, moi aussi, de trouver le courage de démonter mon amour à moi : y’est brisé depuis un bout, pis je l’ai posé sur ma commode, en sachant pas trop quoi faire avec, parce que d’habitude, quand quelque chose pète… ben je le jette. Mais là je me suis dit « je peux pas vraiment… réalistement, jeter l’amour ». Fait que ça traîne sur ma commode, en attendant que je trouve le courage de le démonter, pis de le remonter au meilleur de mes connaissances. Parce que je suis curieuse, je suis très très curieuse de voir comment c’est fait. 

Je sais pas si tu vas retrouver l’amour que t’as démonté. Je pense pas, en fait. 

T’sais y a quelqu’un qui a dit qu’on se baigne jamais deux fois dans le même fleuve? Sûrement un dude. Ben d’après moi on se baigne pas deux fois dans le même amour, une fois qu’on l’a démonté. Mais c’est sûr et certain que tu vas te rebaigner.

On se voit au Salon du livre de Québec, j’ai hâte.

Carolanne