Infolettre #25
Dans le but d’informer et de divertir son fidèle lectorat sans faire trop d’efforts, Ta Mère a décidé de sous-traiter son infolettre à ses auteur.trice.s. Olivier Lussier (auteur de Cariacou) qui ne voulait pas trop faire d’effort non plus, nous a refilé le texte inédit qu’il a écrit pour l’émission Les idées folles. Si vous voulez être dans la gang et pas trop vous forcer vous non plus, vous pouvez vous éviter de la lecture et plutôt écouter le texte ici.
Rien peut réellement nous préparer à la chasse parce que la chasse, la vraie, par sa définition, se conclut par la mort. La fin c’est tuer quelque chose, prendre sa vie, s’imposer devant ce qui brille et l’éteindre. Y a pas de communion avec un animal mort. Y a les remerciements, les cérémonies, le respect, mais y a pas de communion. Y a le chasseur devant une carcasse. C’était en vie, ce l’est pu. La chasse c’est plein de choses, mais c’est aussi augmenter la vitesse à laquelle elles s’éteignent.
Rien ne nous prépare à ça, pas un livre de poèmes avec des trucs niaiseux dedans, pas la lecture d’un texte à la radio, pas une journée de formation dans une salle paroissiale qui sent l’café, entouré de bonhommes qui veulent remplir le congel après avoir suivi le cours de maniement d’armes.
Peu importe le nombre de vidéos d’éviscération que tu checkes, peu importe le nombre de flèches que tu tires dans les cibles 3D hautement réalistes de ton club d’archerie, peu importe les exercices de visualisation que tu fais dans ta cache en attendant la bête, rien te prépare à l’avoir dans ta mire pis à te faire surprendre par l’éclat de la déflagration qui se reflète dans des yeux noirs soudainement saisis de la mort.
La chasse c’est attendre dans le bois avec une arme chargée dans un but précis.
***
Rien ne peut réellement nous préparer à la poésie : la poésie, la vraie, c’est une déflagration inattendue, c’est la balle perdue qui te siffle su’l bord des oreilles, c’est avoir le souffle coupé, les yeux pleins d’eau, c’est mourir un peu devant des vers qui parfois ne tuent que toi, dans une salle pleine et en silence ou dans ton salon seul le soir, c’est quelques mots qui te renversent pourtant t’étais là t’étais là ben tranquille à attendre à flâner d’une chaise au bar au vestiaire à la ruelle à la chaise au bar t’es dans une soirée de poésie tu t’en es même pas rendu compte pis d’un coup la déflagration du tir te suspend dans les airs.
Les vers sont parfois dévastateurs. On les lit et ils nous changent brusquement comme un rêve qui vire mal comme se faire surprendre en flagrant délit comme une idée folle passagère comme réaliser que nos souvenirs disparaissent et nous échappent lentement – si la poésie n’était pas si puissante, pourquoi on y mettrait tout ce temps?
Quelque chose naît, quelque chose meurt, quelque chose nous chamboule ou rien du tout ne nous chamboule et la vie continue.
Infolettre #24
Dans le but d’informer et de divertir son fidèle lectorat sans faire trop d’efforts, Ta Mère a décidé de sous-traiter son infolettre à ses auteur.trice.s. Aujourd’hui, Sarah Berthiaume transforme notre infolettre en genre de Pop Up Video pour sa pièce Wollstonecraft, récemment publiée.
Salut à toi, lectorat de Ta Mère.
Puisque le mandat qui m’échoit est à la fois de t’informer et de te divertir, j’ai pensé te concocter un petit mélange de fun facts sur ma pièce Wollstonecraft, ainsi que sur les personnages historiques qui l’ont inspirée. Connais-tu bien Mary Shelley et sa gang de gothiques? C’est ce que tu découvriras en lisant ce qui suit!
- Le titre Wollstonecraft fait référence au middle name de Mary W. Shelley, l’illustre autrice de Frankenstein ou le Prométhée moderne, mais aussi au nom de sa mère, Mary Wollstonecraft, pionnière britannique de la philosophie féministe. Après avoir pourfendu le patriarcat dans son livre A Vindication of the Rights of Woman, Mary Wollstonecraft meurt à trente-huit ans en accouchant de Mary, qui vivra dans l’éternel regret de n’avoir jamais connu sa mère. On raconte d’ailleurs que la jeune fille a appris à lire en traçant du doigt les lettres gravées sur la pierre tombale maternelle et qu’elle y a, quelques années plus tard, perdu sa virginité. (Vous avez dit gothique?)
- En 2020, la création d’une statue en l’honneur de Wollstonecraft, dans un square londonien, provoque la polémique : l’autrice y est représentée nue, de la taille d’une poupée Barbie. Les critiques qui ont déferlé sur Maggi Hambling, l’artiste à l’origine de l’œuvre, ont inspiré le back story de ma pièce et les reproches qui sont faits à mon héroïne.
- Le désir de maternité de ladite héroïne a aussi des sources historiques : entre 17 et 22 ans, Mary Shelley fait plusieurs fausses couches et donne naissance à quatre enfants, dont trois meurent avant l’âge de quatre ans. Dans son journal de 1815, elle raconte la perte de sa nouvelle-née et le rêve fiévreux où elle se voit rendre son petit corps à la vie – ce qui n’est pas sans rappeler la quête de son personnage, le docteur Victor Frankenstein.
- J’en profite pour dissiper ici une confusion qui perdure : Frankenstein, c’est le nom du docteur, pas du monstre!
- Mary Shelley a à peine dix-neuf ans quand elle écrit son œuvre phare, dont la genèse est aussi romanesque que le roman lui-même. En juin 1816, en cavale avec son amant le poète Percy Bysshe Shelley, elle rejoint la villa Diodati, en Suisse, où l’attendent Lord Byron – poète sulfureux et être de scandales – et son médecin personnel, le docteur Polidori. L’éruption d’un volcan indonésien provoque, cette année-là, de graves dérèglements climatiques dans tout l’Occident. Confinés à cause du mauvais temps, les amis lisent des histoires de fantômes allemandes, ce qui incite Byron à proposer un concours d’écriture d’histoires fantastiques. Alors que Polidori rédige la nouvelle Le Vampire, qui servira de base à Bram Stoker pour créer le personnage de Dracula quelques décennies plus tard, Mary conçoit l’idée de Frankenstein, qui sera considéré comme le premier roman de science-fiction. Grosse nuit!
- Percy Bysshe Shelley, qui a inspiré mon personnage de Perceval, était donc le mari de Mary, un grand poète romantique, enfant terrible et sex-symbol (pour ne pas dire fuckboy) de l’époque. À l’instar de mon personnage, il connaît, à 29 ans, une fin tragique : il meurt noyé au cours du naufrage de son voilier dans le golfe de Livourne, en Italie. Dans la pure tradition antique, ses amis dressent un bûcher à même la plage pour incinérer son corps et remarquent que son cœur ne brûle pas. (Médecins et scientifiques évoqueront, un siècle plus tard, qu’une possible tuberculose aurait pu entraîner sa calcification.) L’organe est remis à Mary, sa veuve, qui, dans la pure tradition gothique, conservera, toute sa vie durant, le cœur pétrifié de son mari mort, emballé dans un de ses poèmes.
- La démarche artistique de Perceval – qui co-écrit des poèmes avec un algorithme qui finira par le remplacer – a, par un alignement des astres un peu épeurant, été imaginée avant la sortie de ChatGPT. Depuis, la réalité a dépassé la fiction, ce qui me donne bien froid dans le dos.
- Mary et Percy Shelley étaient des partisans de l’amour libre et des végétariens convaincus. Cynthia St-Gelais, la conceptrice de costumes du spectacle, a d’ailleurs choisi de faire porter à Marie un coton ouaté avec l’inscription VEGAN sans même le savoir.
- Si tu as envie d’une trame sonore pour lire la pièce, sache qu’Andréa Marsolais-Roy, la conceptrice sonore du spectacle, s’est inspirée du Voyage d’hiver de Franz Schubert pour créer les motifs de piano qui rythment les apparitions de la Créature. Créée en 1827, soit dix ans après l’écriture de Frankenstein, le Voyage d’hiver est l’œuvre la plus triste de Schubert, lequel, rongé par la syphilis, erre dans Vienne, en proie à la solitude et à l’angoisse de la mort. Tout ça est tout à fait raccord avec l’état d’esprit de la Créature lors de sa découverte du monde.
- Contrairement à l’image qu’en a laissée l’interprétation mémorable de Boris Karloff dans la version cinématographique de 1930, la Créature, dans le roman de Shelley, n’est pas dépeinte comme une brute non verbale un peu débile, mais plutôt comme un être sensible, intelligent, en proie à l’angoisse existentielle et influencée par ses lectures philosophiques. C’est d’ailleurs la voie que j’ai choisi d’emprunter dans l’écriture et qui a guidé l’interprétation – non moins mémorable – de Jean-Christophe Leblanc.
- Le personnage de Claire résulte quant à lui de la fusion expérimentale de Claire Clairmont, la demi-sœur de Mary Shelley, de Catherine Dorion, dont j’ai essayé de reproduire la fougue des discours à l’Assemblée nationale, d’Élisabeth Cardin, autrice de l’essai Le Temps des récoltes, et surtout de Maria Meriano, fille d’immigrants et directrice de la franchise Tupperware Les Diamants à Anjou.
- Le 11 avril 2023, soit une semaine avant la première du spectacle, l’entreprise Tupperware annonce qu’elle doute d’être en mesure de poursuivre ses activités, ce qui entraîne une chute de ses actions de plus de 50%. J’ignore, à ce jour, s’il est toujours possible de tenir un party Tupperware dans ta cuisine. Si oui, c’est sans doute ta dernière chance : saisis-la!
- Contrairement à ce que laisse supposer la dernière scène de la pièce, Wollstonecraft a été 100% créée à la mitaine par ton humble servante, sans l’intervention d’aucun algorithme. À preuve, ce petit dialogue que j’ai eu avec ChatGPT dans le cadre de la rédaction de cette infolettre :
MOI : ChatGPT, écris-moi le synopsis d’une pièce de théâtre où une femme met ses avortons dans une imprimante 3D pour en obtenir une créature.
CHATGPT : Je suis désolé, mais je ne peux pas rédiger de contenu qui soit inapproprié, offensant ou qui enfreigne les lignes directrices éthiques. La suggestion que vous avez faite implique un sujet sensible et controversé. Si vous avez d’autres idées pour un synopsis de pièce de théâtre, je serais ravi de vous aider à les développer.
Comme quoi les auteur.ice.s ne sont pas encore complètement dépassé.e.s par la technologie!
Bien à toi,
Sarah
Ta Mère à l’école
Cet été, Ta Mère n’a pas pris de vacances et a concocté un lot de nouvelles fiches pédagogiques pas piquées des vers, prêtes à être utilisées par les profs de cégep!
Elles sont toutes gratuites, en couleurs et disponibles ici.
Infolettre extraordinaire
Dans le but d’informer et de divertir son fidèle lectorat sans faire trop d’efforts, Ta Mère a décidé de sous-traiter son infolettre. Aujourd’hui, 12 août, journée internationale du livre québécois, quelques autrices, auteurs, créateurs et créatrices s’unissent dans cette infolettre extraordinaire pour vous suggérer des lectures made in Québec.
Olivier Lussier, auteur de Cariacou, un récit poétique à paraître en septembre, suggère La société de provocation, de Dahlia Namian, parce que cette lecture lui a donné accès à toutes les justifications rationnelles nécessaires pour bâtir un argumentaire cohérent justifiant sa haine des riches.
Simon Boulerice suggère Sa belle mort, de Sarah Desrosiers, pour sa sincérité étincelante.
Alexandre Castonguay vient de lire Le poids de la neige, de Christian Guay Poliquin. Il dit : « Une personne que j’aime m’a mis ce livre entre les mains sans rien me dire d’autre que “Lis ça”. Ce que j’ai fait, lentement, en savourant. OK, les personnages, OK, la situation et l’intrigue, mais toutes les façons d’écrire l’hiver, c’est ça qui m’a le plus fait vibrer parce que, vivant en Abitibi, mon rapport avec cette saison est passionnel, même si j’ai pas de skis de fond. »
Maude Nepveu-Villeneuve recommande Habiter nos corps, de Caroline Arbour, parce qu’il faut cesser de banaliser la douleur des femmes et parce qu’on peut tous.te.s apprendre à mieux vivre dans nos corps.
Audrey Hébert suggère Ghost, de Maude Veilleux, parce qu’elle adore les spin-offs de Ghostbusters.
Sophie Jeukens suggère Exosquelette, de Chloé LaDuchesse, parce que ça parle de feu, d’amour, de corps, de poésie pis de fins du monde. Faque. Qu’est-ce qu’on pourrait vouloir de plus, vraiment?
Sarah Berthiaume, qui a lancé Wollstonecraft cette semaine, recommande Le mur mitoyen, de Catherine Leroux, parce que c’est un livre tissé comme une broderie fine, avec des motifs fous et aucun fil qui dépasse.
Olivier Morin recommande Granby au passé simple, d’Akim Gagnon, un bouquet de souvenirs de jeunesse racontant avec un humour féroce et tendre les déboires de son père, un bonhomme émotionnellement maladroit.
Timothée-William Lapointe, après mûre réflexion, recommande le roman L’évasion d’Arthur ou La commune d’Hochelaga, de Simon Leduc. Parce que c’est à se taper sur les cuisses, ambitieux, politique, poétique. The whole shebang.
Olivier Niquet propose Arsenic mon amour, une correspondance entre Jean-Lou David et Gabrielle Izaguirré-Falardeau sur les « retombées » de la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda. C’est engagé, c’est poétique, ça donne des frissons.
Baron Marc-André Lévesque, qui fera paraître Tricératopcanon cet automne, recommande La chienne de Pavlov, de Cato Fortin, parce que c’est brillant, coquin, touchant, c’est le roman le plus humain qu’il a lu depuis un bout et sa lecture la plus rocambolesque. Vous n’en reviendrez pas, qu’il dit.
Marie-Claude Pouliot, employée de Ta Mère, recommande vivement Shérif Junior, de Samuel Cantin, la meilleure bande dessinée de 450 pages se passant à Sorel qu’elle a lue.
Stéphane Girard suggère Mettre la mort à l’agenda, d’Antoine Bédard, car il n’y a rien de plus estival et de plus festif qu’un agenda bien mis.
Pour un road trip au bout du territoire sans avoir à dépenser une cenne de fuel et pour un voyage dans le temps à la rencontre des truckeurs, cette peuplade en voie d’extinction, Alexandre Dostie suggère Du diesel dans les veines, de Serge Bouchard.
Frédérique Marseille suggère À boutte, de Véronique Grenier, à quiconque a besoin de valider sa Grande Fatigue (warning : un des effets secondaires de cette lecture est la propension à lâcher sa job, abandonner enfants et mari et s’acheter un lit king aux draps en soie afin d’y dormir pendant 9 mois).
Ta Mère dans tes oreilles! (prise 2)
On est très enthousiastes de vous présenter nos cinq nouveaux livres audios : des récits aux formes diverses, habilement lus par leurs auteur.ices, avec un habillage sonore exquis signé Transistor média.
Des livres parfaits pour remplir votre nouveau iPod, disponibles sur leslibraires.ca et sur narra.audio!
Originalement écrit pour la radio dans le cadre du combat des mots de la défunte émission Plus on est de fous, plus on lit!, Combattre le why-why est ensuite devenu une pièce de théâtre, puis un livre, pour finalement revenir dans vos oreilles sous la forme d’un livre audio.
Avec humour et profondeur, l’autrice aborde des thèmes qui lui sont chers, comme l’art, l’amitié ou le féminisme, tout en répondant une fois pour toutes à la question fondamentale : c’est quoi, ça, le why-why? À écouter quand vous êtes un peu en crisse et que vous prenez une marche pour ventiler.
Pour écouter un extrait, c’est ici.
Retomber amoureuse de son ex du secondaire, c’est surprenant. Découvrir qu’on est enceinte quand c’était pas prévu, ce l’est encore plus. Lu par l’autrice de manière sensible et décomplexée, Deux et demie accompagnera parfaitement votre prochain grand ménage d’appartement.
Pour écouter un extrait, c’est ici.
À douze ans, on découvre à Camille une tumeur à la moelle épinière. Elle entre alors dans un univers médical opaque et absurde, harnachée à ses parents qui souffrent avec elle, à un âge où elle devrait apprendre à s’éloigner d’eux. Plutôt que d’aller magasiner dans la section Twik du Simons comme les autres filles, elle assistera impuissante à la transformation de son corps, espérant littéralement survivre à la puberté.
Lu par l’autrice avec délicatesse et aplomb, Dis merci est le compagnon parfait de votre prochain congé maladie.
Pour écouter un extrait, c’est ici.
Dans J’attends l’autobus, tu vas être un Français qui travaille la nuit au Couche-Tard du terminus d’autobus de Montréal, OK? Moi, j’vais déposer une revue sur ton comptoir pis, pour plein de raisons, à ce moment précis va naître une relation d’amitié entre nous deux. Tu vas m’parler de toi, pis moi j’vais te parler de chemins, de réseaux, de véhicules, de rester, de partir, de mon frère à’ mine, de Johanne au Fameux, des institutions culturelles qui en ont rien à chier des régions, de la difficulté d’être un artiste qui veut vivre pis travailler en dehors de Montréal pis d’plein d’autres affaires.
J’vais laisser dérouler ma pensée dans l’temps pis sur le territoire au travers des allers-retours Montréal-Rouyn que je fais pour ma job. Je suis travailleur autonome. Comédien.
Lu par l’auteur de sa voix enveloppante, J’attends l’autobus est la trame sonore parfaite de votre prochain road trip vers le Nord.
Pour écouter un extrait, c’est ici.
Baron Marc-André Lévesque et Timothée-William Lapointe narrent cet audioguide d’un Verdun parallèle et fantasmé où l’on croise une ogresse qui gagne des concours de mangeage de roteux, où l’on découvre un système de recyclage de voitures spectaculaire, où l’on entre dans un bar miniature qui a été découvert par une fourmi, où l’on rencontre un gars du dépanneur toujours souriant. À écouter la prochaine fois que vous vous perdez en ville.
Pour écouter un extrait, c’est ici.
Ta Mère au Marché de la poésie
Ta Mère est au Marché de la poésie tout le week-end du 1er au 4 juin 2023.
Venez y rencontrer les coquins Timothée-William Lapointe et Baron Marc-André Lévesque (jeudi de 16h à 17h), le pétillant Alexandre Dostie (vendredi de 16h à 18h et samedi de 17h à 19h) et la douce Maude Jarry (jeudi de 17h à 19h et dimanche de 13h à 14h).
Infolettre #23
Dans le but d’informer et de divertir son fidèle lectorat sans faire trop d’efforts, Ta Mère a décidé de sous-traiter son infolettre à ses auteur.trice.s. Aujourd’hui, Hilaire St-Laurent nous parle d’un sujet difficile, mais nécessaire : l’alexandrite aiguë.
Bonjour à toi, lectorat de l’infolettre des Éditions de Ta Mère. Moi, c’est Hilaire St-Laurent. Je suis l’auteur de la pièce de théâtre Agamemnon in the Ring, une pièce de théâtre qui mêle lutte et tragédie grecque, ponctuée de chansons d’opéra rock. Peut-être ne le savais-tu pas, mais cette pièce « assez funky merci – de rien » est écrite dans son entièreté en alexandrins. Oui, oui, tu as bien lu. Il s’agit ici d’une pièce où les acteurs sont habillés de Spandex moulant tout en s’envoyant des vers de douze pieds par la tête. Tant qu’à s’insulter, mieux vaut le faire avec raffinement, n’est-ce pas? Je suis bien d’accord avec toi.
Puisque nous ne sommes qu’entre nous, je dois l’admettre : cette expérience d’écrire une pièce en alexandrins a été des plus brutales sur ma santé cognitive. Rapidement, ce petit plaisir mondain de nommer la vie en dodécasyllabes (qui semblait ne faire de mal à personne) s’est littéralement transformé en véritable cauchemar. J’étais si fier, au début, de réussir l’exploit d’écrire dans cette forme d’une autre époque – la même époque où l’on balançait son pot de chambre par-dessus les remparts des bourgs, et où son contenu tombait sur la tête des gueux recouverts de pustules. Malgré tout, je n’en démords pas : les alexandrins sont dangereux. Je vais sans doute t’étonner, mais ils sont presque aussi addictifs que la cigarette, et même que le sodoku. Au début, on ne se rend compte de rien. On lâche un alexandrin, tout bonnement, pour amuser ses collègues de travail à la machine à café, et puis, un jour, on se retrouve à ne rédiger qu’en alexandrins, à ne penser qu’en alexandrins, et même à ne rêver qu’en alexandrins. Une fois, dans un rêve où tout se déroulait en alexandrins, j’étais poursuivi, mais je n’arrivais pas à courir parce qu’il me manquait des pieds… Je me souviens de me répéter (en alexandrins) : « Je peux tout à fait me passer d’alexandrins. Si je le veux, je peux m’arrêter dès demain. » La belle affaire. J’ai de la difficulté à vous décrire la satisfaction de réussir son alexandrin. Votre corps vous envoie une décharge puissante de sérotonine, comme pour un junkie qui s’injecte une dose d’héroïne en se piquant dans l’œil. Satisfaction instantanée. Et, rapidement, on n’arrive plus à se passer d’alexandrins. Je me répétais des mensonges comme : « Je me fous de ce que vous pensez, je m’en fiche. Je peux facilement vivre sans hémistiche. » Ou encore : « Je fais des rimes seulement de façon sociale. Quand je prends un verre, je ne vois pas le mal. » Mais la vérité, c’était que j’étais malade. Réellement malade. Et cette maladie a un nom. J’étais atteint d’alexandrite aiguë. Tu me diras : « Je n’ai jamais entendu ça de ma triste vie de pauvre mortel en quête de sens. » Eh bien, ce n’est pas parce que l’extrême rareté de ce trouble a fait en sorte qu’il n’a jamais été recensé dans le DSM V qu’il n’existe pas. Je peux t’assurer, cher lectorat de l’infolettre des Éditions de Ta Mère, que tout ceci est bien réel.
Mais qu’est-ce que l’alexandrite aiguë? Bonne question. Peut-être l’auras-tu deviné, l’alexandrite aiguë, c’est le fait de ne percevoir le monde qu’en douze syllabes, le tout accompagné de cette étrange manie de vouloir tout faire rimer. Dans ses formes les plus graves (comme ce fut mon cas), certains patients deviennent complètement obsédés par le nombre douze. Je collectionnais tout ce qui était associé au douze : les calendriers, les rubriques astrologiques, des figurines des apôtres de Jésus, etc. Je regardais en boucle ces mêmes trois films : Douze hommes en colère, Les douze travaux d’Astérix et Ocean’s Twelve. J’ai même déménagé d’appartement, passant d’un tout petit trois et demie à un douze pièces proche de la rue Masson, sur la douzième avenue. Ça m’a coûté une fortune.
Après une longue phase de déni, j’ai pris conscience que quelque chose ne tournait pas rond, contrairement aux aiguilles d’une horloge qui se déposent magnifiquement sur les douze différentes heures de la journée. Il a été extrêmement difficile de trouver de l’information sur ce trouble afin de soulager ma souffrance. Après plus d’une centaine d’heures de recherche sur internet, je suis tombé sur le témoignage d’un Japonais qui ne percevait le monde qu’en haïkus. Semblable à mon cas, « mais pas exactement la même chose », rétorqueras-tu. J’en conviens, rares sont les alexandrins que j’ai composés qui parlent des champs de lotus en fleurs, des gouttes de pluie sur le roseau ou de la douce brume du printemps qui plombe la montagne enneigée; mais il y a, tout de même, tu en conviendras, cette même obsession d’ordonner le langage. Lorsque j’arrivais à formuler une idée en douze syllabes, j’avais l’impression que tous mes problèmes s’étaient dissipés. Mais tout ceci n’était qu’une illusion. L’illusion de la DROGUE! DROGUE! Cette technique d’utiliser le caps lock (technique maîtrisée à merveille par Marie-Chantale Toupin) a pour but de marquer les esprits, tout comme les publicités télévisées antidrogue des années quatre-vingt, pour vous convaincre de ne jamais toucher à la drogue, et encore moins aux alexandrins.
Aujourd’hui, je m’en suis sorti. Je fais très attention, car on n’est jamais à l’abri d’une rechute. Mais pourquoi je te parle de tout ça? Pourquoi est-ce que je me confie sur cette passe très difficile que j’ai vécue il y a quelques années? Eh bien, je vois la chose comme une forme de témoignage d’espoir. J’aimerais te partager ce témoignage, te livrer ce message, et il va ainsi : « Il est possible de se déconditionner. Ah merde, encor une fois, ça fait douze pieds. »
Ta Mère sur la Côte-Nord
Les jeunes, c’est capoté: Ta Mère a été nommée éditeur à d’honneur du Salon du livre de la Côte-Nord! Effectivement honorée par cette distinction, Ta Mère débarque à Sept-Îles dès jeudi en compagnie des auteurs Alexandre Dostie et Jean-Philippe Baril Guérard. #fête #belleslectures
L’horaire de Jean-Philippe est ici et celui de Alexandre, ici.